Centrafrique destination touristique

"Les attractions touristiques en Centrafrique se réduisent à des sites naturels, mais elles sont relativement peu coûteuses comparativement à d'autres…

« Les attractions touristiques en Centrafrique se réduisent à des sites naturels, mais elles sont relativement peu coûteuses comparativement à d’autres leviers économiques plus onéreux et plus lourds, pour un pays qui veut relancer son économie » (Expert)

Bangui

AA/ Bangui/ Pacôme Pabandji

Une Centrafrique destination touristique ? L’idée peut paraître saugrenue, l’énoncé presque antinomique, tant ce pays a été associé pendant les deux dernières décennies aux pires crises politiques, sécuritaires et humanitaires. Pour insolite qu’il soit, le projet séduit et fait même du chemin dans quelques têtes.

Du parc écologique de Dzanga Sangha, dans le sud-ouest du pays, aux chutes de Boali, une ville à une centaine de kilomètres de la capitale Bangui la Coquette en empruntant la route de l’Ouest, la Centrafrique peut compter sur des atouts restés intacts, ou presque.

Pour compenser son enclavement, cet Etat d’Afrique centrale regorge de nombreuses étendues d’eau, comme le célèbre lac aux crocodiles dans la même ville de Boali qui faisait, du temps de l’Empereur Bokassa, l’émerveillement des visiteurs. Deux principaux cours d’eau viendront serpenter la carte d’un pays s’étendant sur 622.984 km², le Sangha et l’Oubangui, tous deux affluents du fleuve Congo.

Des massifs, collines et autres vallées côtoient savanes au Sud, et forêts tropicales vierges au Nord, où vivent des milliers de Pygmées. Le pays expose, en outre, à travers la vitrine de ses parcs naturels, une faune et une flore des plus riches.

Situés près de la ville de Ndélé (Nord), à plus de 700 kilomètres de la capitale Bangui, deux parcs naturels font particulièrement la fierté des Centrafricains. S’étendant sur plus de 3232 km², le parc d’Avakaba a été classé en 1968 sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO. Une vingtaine d’années plus tard, c’est le Manovo-Gounda Saint Floris, qui reçoit la même distinction, « du haut » de ses 17400 km², une superficie qui dépasse celles de plusieurs de pays européens.

Dans cette réserve tropicale du Nord de la Centrafrique, coexistent quelque 320 espèces d’oiseaux. Le « Manovo » est connu, en outre, pour ses espèces rares comme les rhinocéros noirs. On y trouve également des éléphants, des félins, des chiens sauvages et les fameuses gazelles à front roux.

« On ignore si ces espères existent encore aujourd’hui », regrette toutefois Jean De Dieu Ndacka, un habitant de la ville de Ndélé, rencontré par Anadolu.

Des atouts touristiques menacés..

Et pour cause, les parcs de Manovo et d’Avakaba ne fonctionnent plus depuis la crise. « Les structures qui tiennent ces parcs sont toutes parties parce que personne ne s’intéresse à la ville », a regretté Jacques Koumba, au service de la faune, au ministère des Eaux, forêts, chasse et pêche. « Et pourtant, c’est grâce à ces parcs que des routes ont été aménagées, l’aéroport était fonctionnel […]. Mais aujourd’hui avec la fermeture, la ville est aux mains des groupes armés », poursuit-il, dans une déclaration à Anadolu.

L’ancienne ministre du tourisme, Maury Psimhis, a estimé, pour sa part, dans une déclaration à Anadolu, que « Tant que la situation ne se sera pas complètement calmée, on ne peut pas faire de projets touristiques d’envergure ».

La Centrafrique a élu, début 2016, un président et un Parlement, après plus de trois années de crise à dimension inter-communautaire. Cependant, des poches de tensions existent encore, particulièrement, dans le Nord du pays. De son côté, l’Etat peine, dans l’attente d’un programme de désarmement, à restaurer son autorité sur tout le territoire.

« Pour attirer des touristes, il faut commencer par assurer la sécurité après tout ce que le pays a connu. Pour le moment on s’attelle à restaurer les sites en attendant le redéploiement des forces centrafricaines et des gardes forêts. Mais le tourisme est l’une des priorités du gouvernement afin de soigner l’image du pays », a rassuré, dans une déclaration à Anadolu, Florent Bibalet, directeur des eaux, forêts, chasse et pêche au ministère éponyme.

…Pas uniquement du fait des groupes armés

Toutefois, les groupes armés « communautaires », ne sont pas les seuls à menacer le potentiel touristique centrafricain. Des animaux sont systématiquement abattus par des braconniers qui pullulent dans la région.

« Ils viennent pour la plupart du Soudan [limitrophe] et comme il n’y a plus de sécurité, ils font ce qu’ils veulent », d’après Christophe Courbet qui tenait une société touristique dans l’ouest du pays, rencontré par Anadolu.

« Victimes de leur liberté et de leur robustesse, les espèces fauniques du Nord, en particulier, ont été soumises à un braconnage intensif durant ces trois dernières décennies » confirme une thèse de doctorat de Benoît Tchakossa, soutenue à l’Université de Nantes, en France, en 2012.

« Nous manquons de travail et avons l’impression d’être abandonnés. On ne parle que de Bangui alors que si on relance les activités touristiques ici, tout le monde aura du travail », a déploré Moussa Garba, un habitant de Ndélé, rencontré par Anadolu.

Les sociétés privées de tourisme, pourvoyeuses d’emploi, se disent pourtant prêtes à reprendre leurs activités. Elles mettent néanmoins en avant les pertes subies pour demander une exonération de taxes.

« Les sociétés du tourisme sont prêtes à reprendre leurs activités, mais vu les pertes subies, nous ne pourrons le faire qu’avec l’aide des autorités. Pour compenser partiellement ces pertes, nous envisageons une exonération de plusieurs années de toutes les taxes liées à nos activités […] et l’instauration de la sécurité sur toute l’étendue du territoire afin de garantir la quiétude de nos clients [touristes] » a déclaré Cyrille D., cadre d’une société touristique dans la préfecture de Bamingui-Bangoran (Nord), cité par le site du journaliste centrafricain Odilon Doundembi.

« Le tourisme, parce qu’on ne peut pas compter sur une relance rapide avec les leviers économiques traditionnels.. »

Selon Faouzi Tounsi consultant en développement touristique auprès d’organisations internationales, dont l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), le recours au tourisme « n’est pas une option » pour un pays comme la Centrafrique.

« Les attractions touristiques en Centrafrique sont plutôt disponibles, elles se réduisent à des sites naturels, mais elles sont relativement peu coûteuses comparativement à d’autres leviers économiques plus onéreux et plus lourds, pour un pays en pleine reconstruction qui veut relancer son économie », a-t-il déclaré à Anadolu.

L’expert tunisien nuance en rappelant le préalable de l’ouverture des hôtels en province, qui ont été soit fermés soit endommagés pendant la crise. « Bangui compte une vingtaine d’hôtels, en très bon état et qui travaillent très bien en raison, notamment, de la présence de la Mission onusienne [MINUSCA], mais aussi de journalistes et d’humanitaires », a-t-il rappelé.

« Mais puisque les principales sources d’attraction sont situées, parfois, à plusieurs centaines de kilomètres de Bangui, il n’est pas possible d’envisager des circuits à partir de Bangui », a-t-il ajouté.

D’après une source au sein du ministère du Tourisme, le pays pourrait tabler, d’ici 2017, sur 10% de PIB assuré par les revenus liés au tourisme (les chiffres actuels liés au tourisme n’ont pas pu être obtenus). Un chiffre un peu « trop ambitieux […] en l’état actuel du pays, même si le FMI [Fonds Monétaire international] a annoncé que les perspectives macroéconomiques s’annoncent plutôt favorables avec +5,7% de croissance en 2015 et un peu plus pour 2016 », juge Faouzi Tounsi.